Un article qui n’est pas directement lié à la cartographie mais qui, si on y réfléchit bien, s’en rapproche. Vous allez y voir des œuvres d’artistes atteints d’autisme qui sont finalement des cartes psychiques de la maladie, des portes ouvertes sur la manière de voir de ses personnes enfermées dans leur monde. J’ai toujours été assez fan de l’art brut ou l’art naïf qui correspondent pour moi à un art naturel et spontané, débarrassé de toute la prétention dans lequel il baigne généralement…
Perception des formes, monstres apprivoisés et humble invitation à voir le monde différemment; voici ce à quoi nous invite « Drawing autism », ce très bel ouvrage1 de Jill Mullin, analyste du comportement basée à New York, avec une préface de la célèbre Temple Grandin, autiste et professeur à l’université du Colorado.
L’ouvrage regroupe une cinquantaine d’œuvres d’artistes et d’enfants qui vivent quelque part dans le large spectre des maladies autistiques et qui nous font partager leur incroyable sens créatif et leur vision du monde. En effet, malgré le stéréotype de l’esprit autiste perçu comme une machine de calcul méthodique (effet Rain man?), une grande partie de sa magie réside dans sa capacité d’expression créative.
Quelques extraits:
Pour l’artiste Kay Aitch, dont l’autisme a été diagnostiqué à l’âge de cinquante et un an, le processus créatif participe de la reconnaissance des formes: « Tout autour de moi me pousse à créer de l’art. Ce qui m’inspire sur la création c’est le processus de prise de notes, la sensation des choses, de voir les formes et les motifs dans les choses« .
Eleni Michael: « Cette œuvre a été peinte en 1995, peu de temps après avoir emménagé dans un logement pour les personnes ayant des besoins spéciaux. J’étais euphorique de ma nouvelle maison: un appartement autonome entouré d’un grand jardin dans un cadre rural (cette idylle ne dura pas longtemps). J’ai emmené avec moi mon chien Jasper. C’était le seul animal présent et il a apporté beaucoup de joie à tout le monde: moi et tous les résidents. . Ils l’aimaient aussi et aimaient jouer avec lui et le caresser. Jasper était une présence saine qui donnaient son amitié sans discrimination ».
Selon Temple Grandin ces talents doivent être soigneusement entretenus et dirigés. Elle écrit dans la préface: « Quand j’étais enfant, ma mère a nourri ma capacité artistique. J’ai toujours été encouragée à dessiner de nombreux sujets différents. En tant qu’adulte, j’ai utilisé mon talent artistique pour mon entreprise de conception d’installations de manutention. Une des leçons que ma mère m’a apprise et qui m’a vraiment aidé à développer mes compétences était de créer des images que d’autres personnes pourraient vouloir. À l’école primaire, je dessinais beaucoup de photos de chevaux. Les personnes autistes sont souvent obsédées par leurs objets préférés. Comme une enfant, je voudrais continuellement dessiner les mêmes choses encore et encore. La grande motivation de ces fixations a été canalisée dans la création de tous les magnifiques travaux qui se trouvent dans ce livre. »
Des œuvres du savant Gregory Blackstock, artiste autiste et dessinateur compulsif, dont la spécialité est l’inventaire, sont également présentes. Ci-dessous: boules/ballons. (D’autres œuvres ici)
Motifs répétitifs et taxonomies visuelles sont en fait une caractéristique récurrente de nombreuses œuvres. Par exemple cette magnifique liste visuelle d’oiseaux (de David Barth, 10 ans):
Quelques autres extraits de l’ouvrage:
Certaines de ces œuvres mélangent symbolisme universel avec expériences personnelles.
Au sujet de son œuvre (ci-dessous), l’auteur explique:
« Il s’agit d’un fragment d’un ensemble plus grand qui encore à compléter. L’ensemble est lui-même une première partie d’un triptyque qui a pour thème les unités psychiatriques, en utilisant symboliquement l’enfer comme une analogie. Les démons de la pièce rappellent ceux des œuvres du XIIe siècle représentant l’enfer et le Jugement dernier. Aussi cette toile a été inspirée par certains de mes propres séjours passés à l’hôpital. Bien que je n’ai jamais été suicidaire, j’ai toujours trouvé bizarre qu’on ne puisse avoir aucun des éléments cités dans le titre de cette œuvre (ici: rasoir, lacets et ceinture). J’ai compris la logique et le risque pour les patients suicidaires, mais néanmoins toujours trouvé étrange de se promener en chaussures avec la langue pendante ou d’avoir les jambes non rasées. »
Pour Wil C. Kerner, 12 ans, c’est sa grand-mère qui explique l’inspiration derrière cette œuvre:
La clé pour comprendre Pals c’est l’oreille d’âne, blanche et marron. Les quatre expressions faciales représentent les mauvais garçons se transformant en ânes dans le film Pinocchio. Le visage violet de Pinocchio est surpris par sa nouvelle oreille et se demande quoi faire. Il est trop tard pour le visage horrifié en jaune; le trapèze vert est inconscient de son sort et la tête bleue regarde au loin, espérant ne pas être inclus.
Si ce type d’art, naïf et non formaté, vous plait vous pouvez faire un tour à la Halle Saint Pierre à Paris, haut lieu de l’art brut et très bel endroit pour boire un café.
Allez pour finir une petite citation de Jean Dubuffet:
» L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle. »
1: Ouvrage déjà sorti il y a 3 ans mais qui ressort ici en version plus complète. Si vous souhaitez vous le procurer vous pouvez voir ici.
Merci
C’est vraiment magnifique et édifiant ❤️
Ah ben merci à vous de l’avoir lu! c’est vrai que ça change un peu des vraies cartes. Sur le même sujet j’avais vu un court métrage très bien au festival de court métrage de Roanne: http://youtu.be/sGb6JP8ktws.
merki grangui!
Merci de nous avoir fait découvrir ces belles oeuvres!